La Brûlure de mille soleils

À bord de son astronef avec son chat Marcel, un voyageur galactique revenu de tout découvre dans le journal vidéo l’existence de deux inventions qui, une fois combinées, lui permettraient de dépasser la vitesse de la lumière et de parcourir l’équivalent de dix ans en dix minutes. Son nouveau dispositif installé, l’homme se laisse porter à partir d’un point de la Chevelure de Bérénice et arrive sur une planète inconnue, peuplée d’habitants semblables aux terriens. Là-bas, il tombe amoureux de Barbara mais certaines règles de ce nouveau monde vont lui échapper et lui faire comprendre l’impossibilité de leur union.

Figure discrète de la Nouvelle Vague, Pierre Kast a laissé derrière lui une œuvre empreinte d’utopie, de dialogues richement référencés et de vision du monde perçu par le filtre de l’art. C’est en découvrant La Jetée (1962) de Chris Marker que lui vient l’envie de concevoir un film à base d’images fixes dans le registre de la science-fiction – genre qu’il avait déjà abordé dans son premier long-métrage, Amour de poche, en 1957. Il rédige un scénario en s’inspirant de la tragédie Bérénice (1670) de Jean Racine qu’il confie au peintre portugais Eduardo Luiz à qui il passe une commande de 400 dessins. Chris Marker lui-même est contacté pour assurer le montage mais contrairement au radicalisme formel de La Jetée, l’animation sera présente dans La Brûlure de mille soleils bien que réduite au minimum, à base de de zooms, de défilements simples, de fondus enchaînés et de quelques clignotements. Sorti en 1965, le film recevra entre autres la Médaille d’or du Festival du film de science-fiction de Trieste, le Louis d’or du Jury des Jeunes à Locarno ainsi que le Prix spécial du Jury à Rio de Janeiro.

Mélancolique et rêveur, La Brûlure de mille soleils repose sur le caractère surréaliste des images d’Eduardo Luiz qu’accompagne la voix éraillée de Pierre Vaneck, l’acteur-fétiche du réalisateur, ainsi que les compositions électroniques dissonantes de Bernard Parmegiani. Il en ressort un récit introspectif, où le spleen du protagoniste se heurte à l’utopie d’une nouvelle planète où les désirs prennent littéralement forme pour finalement aboutir à une impasse. Avec amertume, Pierre Kast livre une fable sur l’échec de l’homme à communiquer avec ses semblables malgré l’amour qu’il peut leur porter, tout en pointant du doigt la vanité des conventions sociales érigées au rang de dogme, dans un élan de contestation annonçant l’esprit de mai 68. Ce regard critique porté sur l’humanité d’un point de vue extraterrestre sera également à l’œuvre dans le long-métrage Les Soleils de l’île de Paques que Kast réalisera en 1972.
Aujourd’hui oublié, tout comme son auteur, La Brûlure de mille soleils constitue un objet filmique singulier par la créativité de son univers graphique et sa capacité à susciter l’émotion à partir d’une animation très épurée.