Une Nuit sur le Mont Chauve

Fiche technique
Nom originalUne Nuit sur le Mont Chauve
OrigineFrance
Année de production1933
Durée8 minutes
RéalisationAlexandre Alexeïeff, Claire Parker
AnimationAlexandre Alexeïeff, Claire Parker
MusiquesModeste Moussorgsky, Nikolaï Rimski-Korsakov (arrangement)
Editions
Sortie en DVD27 avril 2005 (Cinédoc - sur le DVD Alexeïeff - Le cinéma épinglé)
Synopsis

Une nuit, dans la nature entourant une ville campagnarde, se déroulent de sinistres festivités. Tandis que des épouvantails prennent vie ou que des cadavres d'animaux s'animent, sorcières, spectres et autres démons déambulent dans un chaos infernal...

Seules les cloches de l'église voisine parviennent à mettre un terme à ce cauchemar alors que l'aube approche et ramène la paix.

Commentaires

Le compositeur russe Modeste Moussorgski termina son poème symphonique Une Nuit sur le Mont Chauve en 1867. L'idée lui serait venue après avoir vu la pièce La Sorcière de son camarade militaire Georgy Mengden même si certains éléments (notamment le titre original du morceau, qu'on peut traduire par "Nuit de la Saint-Jean sur le Mont Chauve") laissent supposer une inspiration par La Nuit de la Saint-Jean, nouvelle de Nicolas Gogol, bien que son intrigue n'ait au final que peu de rapport avec l'argument décrit par Moussorgski.
Si le musicien fut tout à fait satisfait de sa partition achevée, elle sera jugée sévèrement par ses pairs, rebutés entres autres par l'aspect chaotique de la musique (un aspect pourtant voulu par le compositeur, cherchant à retranscrire le côté désordonné d'un sabbat). Croyant malgré tout à son potentiel, Moussorgski tentera à plusieurs reprises de retravailler son œuvre, pensant d'abord l'inclure au sein de l'opéra Mlada (qui aurait dû être signé par plusieurs compositeurs mais le projet n'aboutit pas). Cette refonte est considérée comme perdue mais plusieurs idées, notamment l'utilisation de voix chantées, seront développées lorsque Moussorgski tentera à nouveau de recycler sa Nuit sur le Mont Chauve au milieu de son opéra La Foire de Sorotchintsy, en reprenant un matériau thématique similaire mais en modifiant considérablement la structure (ajoutant notamment un épilogue beaucoup plus doux que la conclusion abrupte de la version originale). Si là encore, le projet n'arriva pas à son terme, des ébauches suffisamment avancées purent cette fois être retrouvées, permettant une reconstitution de cette version. Au final, Moussorgski n'entendra jamais La Nuit sur le Mont Chauve jouée de son vivant, à son grand regret. Cinq ans près sa mort, en 1886, son ami Nikolaï Rimski-Korsakov retravaillera la partition, reprenant la structure de la version chantée (mais sans les voix) et remaniant l'orchestration, la rendant plus conventionnelle, et c'est sous cette forme que le public entendit Une Nuit sur le Mont Chauve durant de nombreuses décennies avant que la version originale du compositeur ne soit exhumée en 1968 et largement réhabilitée, les oreilles du 20ème siècle étant plus à même d'apprécier ses aspects avant-gardistes.

Depuis devenue un morceau de musique classique parmi les plus populaires, grâce notamment aux thèmes mémorables qu'elle fait entendre (en particulier le célèbre motif d'introduction), Une Nuit sur le Mont Chauve séduira bien des cinéastes. On a ainsi pu l'entendre dans Le Magicien d'Oz de 1939, La Fièvre du samedi soir (dans un remix disco !), Tueurs Nés ou encore récemment dans Babylon ; même si c'est probablement la magistrale dernière séquence du Fantasia de Walt Disney qui aura marqué les esprits (le morceau, retravaillé par Leopold Stokowski, y est couplé avec l'Ave Maria de Franz Schubert).
Mais c'est en 1933, en France, que le poème symphonique connaît une première adaptation cinématographique au sein d'un court-métrage éponyme et assez fidèle aux intentions du compositeur, bien que la version utilisée soit celle de Rimski-Korsakov, avec quelques coupes dans la dernière partie de la partition (l'enregistrement utilisé, réalisé en 1931 avec l'orchestre symphonique de Londres sous la direction d'Albert Coates, n'a pourtant pas été retouché).

Ce film chroniqué donc ici fut entièrement réalisé par Alexandre Alexeïeff et Claire Parker, couple à la vie comme au travail, qui utilisèrent la technique d'animation qu'ils avaient eux-mêmes développés : l'écran d'épingles. Cette technologie reposait sur l'utilisation d'épingles noires plantés dans les trous percés sur un écran blanc, le tout éclairé de façon à créer toutes sortes d'effets de lumière et d'ombre. Le graphisme ainsi obtenu évoque clairement l'art de la gravure, à tel point que le générique n'hésite pas à parler de "gravures animées".
Les limites techniques de cette production indépendante servent au final parfaitement le propos : la texture vaporeuse des images renforce leur aspect étrange et le malaise qu'elles procurent, tout comme le côté saccadé de l'animation et le montage chaotique (les plans s'enchaînant, voire se répétant, de façon souvent antilogique). Le noir et blanc de l'époque renvoie aux classiques du cinéma expressionniste allemand comme les films d'épouvante de Friedrich Wilhelm Murnau tels que Nosferatu ou Faust (ce dernier ayant d'ailleurs largement inspiré la version de Disney).
La réalisation fut néanmoins laborieuse, 18 mois ayant été nécessaires pour en venir à bout. L'écran d'épingles ne permettait aucune correction après une prise de vue, obligeant à tout recommencer en cas d'erreur. Se figurant les images dans sa tête, Alexeieff ne réalisera aucun dessin préparatoire, ce qui est bien inhabituel (et risqué) dans le domaine de l'animation.

Le court-métrage fut salué par la critique lorsqu'il fut diffusé au Cinéma du Panthéon à Paris, fort de ses grandes qualités esthétiques. Toutefois, la laborieuse technique de l'écran d'épingles n'avait pas de quoi séduire les producteurs en recherche d'efficience et elle fut peu utilisée par la suite. Le couple Alexieff / Parker se tournera essentiellement vers la publicité et ne réalisera qu'une poignée de courts-métrages par la suite, dont un inspiré par une autre œuvre de Moussorgski : Les Tableaux d'une Exposition. Orson Welles fera toutefois appel à leur art sur la séquence d'ouverture de son film Le Procès en 1962.

Sans doute victime de sa technique de réalisation trop vite tombée en désuétude ainsi que de l'ombre que lui a fait la séquence de Fantasia, cette petite pépite est assez méconnue bien que l'arrivée d'Internet l'ait quelque peu remise en lumière. Il s'agit en tout cas d'une curiosité de choix pour tout amateur d'animation (bien que son imagerie assez sinistre, voire macabre, ne la destine pas à tous les publics). Notons une superbe restauration effectuée par le CNC en 2016. Outre plusieurs diffusions dans des festivals, le film était également visible sur le DVD Alexeïeff - Le cinéma épinglé sorti en 2005.

Auteur : Chernabog
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Fiche publiée le 31 octobre 2023 - Dernière modification le 02 novembre 2023 - Lue 3639 fois