Æon Flux

Les cités de Bregna et Monica sont séparées par une frontière de haute sécurité. D’un côté, Trevor Goodchild règne avec une obsession de contrôle absolu sur l’humanité ; de l’autre, la monicane Æon Flux passe son temps à interférer dans ses plans en ne comptant que sur elle-même. Entre le dictateur et la jeune femme libre s'engage une lutte tenace et sans fin, faite d’amour et de haine, qui pourrait bien faire basculer le monde à sa perte.

Æon Flux, création de Peter Chung, est apparu pour la première fois en 1991 via le programme Liquid TV sur MTV qui présentait des courts-métrages innovants dans le graphisme et la narration ; cette émission fut exportée sous nos latitudes dans l'émission L'Œil du Cyclone sur Canal+. Un premier film de douze minutes est réalisé et diffusé en six tranches de deux minutes. Grand amateur d’écrivains comme Jorge Luis Borges, Franz Kafka ou Alain Robbe-Grillet, Peter Chung visait dans ce projet une narration ouverte et non-linéraire qui défie les habitudes du spectateur en renonçant à tout schéma prévisible ou simplement descriptif, à commencer par un protagoniste parfaitement caractérisé. En effet, le réalisateur se garde bien de donner la moindre information sur le personnage d’Æon, que ce soit sur son parcours, sa famille ou ses intentions. Seule sa totale indépendance est mise en scène et donne ainsi le tempo à une histoire dans laquelle le spectateur est maintenu dans un état de découverte permanente des actes d’Æon et des règles de l’univers dans lequel elle évolue ; le tout étant renforcé par l’absence de dialogues, le personnage se contentant de souffler, soupirer, grogner ou gémir. Mais le film est aussi marquant visuellement par son graphisme acéré très vertical et empreint d’un fétichisme sexuel dérangeant qui contribue à la position d’inconfort du spectateur. Ce rejet permanant des conventions en animation s’achèvera ni plus ni moins que sur la mort de l’héroïne puisque cet essai n’était pas destiné à être poursuivi. Cependant, face au succès obtenu, Peter Chung renouvellera l’expérience pour Liquid TV avec cinq épisodes muets de cinq minutes dont l’issue sera à chaque fois la mort d’Æon. Dans l’un de ces épisodes, le réalisateur s’autorisera à briser l’une de ses règles en faisant prononcer un mot à son héroïne, qui sera ironiquement une onomatopée.

C’est en 1995 que la chaîne MTV décide de produire la série proprement dite de dix épisodes afin d’étendre le concept sur une durée standard de 22 minutes ; cette fois-ci, en plus de la plongée directe dans des intrigues dont les tenants et aboutissements restent obscurs, les scénaristes incorporent des dialogues qui alimentent la narration ouverte de Chung à travers la relation ambiguë d’Æon Flux et Trevor Goodchild, entre fascination mutuelle et haine profonde. Par ailleurs, le systématisme de la narration et la continuité floue entre les épisodes permettent de visionner ces derniers dans n'importe quel ordre (à l'exception des deux derniers), développant ainsi les multiples lectures d’une œuvre fascinante, rapidement devenue culte.
L’année suivante, le studio français Cryo Interactive travaille sur une adaptation en jeu vidéo librement inspirée de l’épisode Le Démiurge. Malgré un développement en bonne voie durant lequel Peter Chung supervisa lui-même les captures de mouvement, le jeu fut annulé après que Viacom New Media, le commanditaire du projet, ait fusionné avec Virgin Interactive ; Cryo remania le travail déjà effectué pour en faire un jeu à part appelé Pax Corpus, qui reçut un très mauvais accueil de la part de la presse et des joueurs.
En 2003, MTV annonce l’adaptation de la série en film. Le projet manque d’être annulé suite à l’échec de Lara Croft : Tomb Raider, le Berceau de la vie. Écrit et réalisé sans l’implication de Chung (ni même aucun membre de l’équipe de la série originale), le film sort finalement dans les salles en 2005, avec Charlize Theron dans le rôle principal, et le succès ne fut pas du tout au rendez-vous. Cette adaptation totalement désavouée par Chung eut toutefois l’avantage de pousser MTV à rééditer l’intégrale de la série animée en DVD en laissant carte blanche au réalisateur pour apporter quelques changements qu’il n’avait pas pu effectuer au moment de la production (notamment des effets spéciaux et des dialogues plus conformes à la personnalité des protagonistes redoublés par les comédiens d’origine).